Europäischer Gerichtshof für Menschenrechte
Cour européenne des droits de l'homme
Corte europea dei diritti dell'uomo
European Court of Human Rights


DEUXIÈME SECTION

DÉCISION FINALE

SUR LA RECEVABILITÉ

des requêtes n° 38014/97 et n° 40193/98 présentées par Sergueï MICHAÏLOV
contre la Suisse

La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant le
11 décembre 2001 en une chambre composée de

MM.J.-P. Costa, président,

L. Wildhaber, L. Loucaides, C. Bîrsan, K. Jungwiert, V. Butkevych, MmeW.
Thomassen, juges et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Vu la requête n° 38014/97 susmentionnée introduite devant la Commission
européenne des Droits de l'Homme le 3 octobre 1997 et enregistrée le 3
octobre 1997, et la requête n° 40193/98 susmentionnée introduite devant la
Commission européenne des Droits de l'Homme le 9 mars 1998 et enregistrée
le 11 mars 1998,

Vu l'article 5 § 2 du Protocole n° 11 à la Convention, qui a transféré à
la Cour la compétence pour examiner la requête,

Vu la décision partielle du 23 novembre 2000,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles
présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, Sergueï Michaïlov, est un ressortissant russe et israélien,
né en 1958 et résidant à Moscou. Il est représenté devant la Cour par Me
Xavier Magnée, avocat à Bruxelles, Mes Ralph Isenegger et Alec Reymond,
avocats à Genève, Me Sergueï A. Pogramkov, avocat à Moscou, Me Alexander
Kronik, avocat à Tel-Aviv, et Me Ramsey Clarck, avocat à New-York.

A. Les circonstances de l'espèce

Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties,
peuvent se résumer comme suit.

Soupçonné d'être l'un des dirigeants de l'organisation russe « Solntsevskaya
» impliquée dans diverses activités délictueuses, tels les trafics de
drogue et le blanchiment d'argent, le requérant fut interpellé à Genève
le 15 octobre 1996.

Les 17 et 22 octobre 1996, le juge d'instruction de Genève (ci-après le
juge d'instruction) inculpa le requérant de participation à une organisation
criminelle, de blanchiment d'argent ainsi que d'infractions à la législation
suisse en matière d'acquisition d'immeubles par des personnes domiciliées
à l'étranger, d'une part, et de séjour et d'établissement des étrangers,
d'autre part.

Le 25 octobre 1996, à la demande du juge d'instruction, la chambre
d'accusation de Genève (ci-après la chambre d'accusation) prolongea la
détention provisoire du requérant pour une durée de trois mois.

Le 17 janvier 1997, le juge d'instruction sollicita la prolongation de la
détention provisoire du requérant. Ce dernier demanda sa mise en liberté.

Le 24 janvier 1997, la chambre d'accusation rejeta la demande de mise en
liberté du requérant et ordonna la prolongation de sa détention provisoire
jusqu'au 24 avril 1997. Se référant notamment à des documents produits
par le ministère public lors de l'audience confirmant « le rôle réel joué
par Michaïlov au sein de l'organisation criminelle », elle considéra que
les charges pesant sur le requérant étaient suffisantes et s'étaient même
consolidées depuis son arrestation.

Le 24 février 1997, le requérant adressa au Tribunal fédéral un recours
de droit public dirigé contre cette ordonnance.

Par un arrêt du 3 avril 1997, le Tribunal fédéral admit ce recours et annula
l'ordonnance de la chambre d'accusation, au motif qu'en se référant à des
pièces auxquelles le requérant n'avait pas eu accès et qui avaient influencé,
au moins en partie, sa décision négative, la chambre d'accusation avait
violé le droit d'être entendu du prévenu. Il poursuivit en rappelant que
lorsqu'il constatait que la procédure ayant abouti au maintien en détention
avait méconnu certaines garanties constitutionnelles ou conventionnelles,
il ne s'ensuivait pas automatiquement que l'inculpé dût être remis en
liberté et estima qu'en l'espèce, pour « rétablir une situation conforme
au droit », il appartiendrait à l'autorité cantonale de statuer à nouveau
sur la demande de mise en liberté.

Le 9 avril 1997, le juge d'instruction sollicita la prolongation de la
détention provisoire du requérant. Ce dernier demanda, le 10 avril 1997,
sa mise en liberté.

Le 11 avril 1997, la chambre d'accusation, statuant sur les demandes de
prolongation de détention provisoire déposées par le juge d'instruction
les 17 janvier et 9 avril 1997, ainsi que sur les deux demandes de
mise en liberté du requérant, rejeta ces dernières et autorisa la
prolongation de la détention provisoire jusqu'aux 24 avril et 11 juillet
1997 respectivement. Elle fonda sa décision sur la gravité des faits,
les risques de collusion, de fuite et de récidive, ainsi que les besoins
de l'instruction.

Le 12 mai 1997, le requérant adressa au Tribunal fédéral un recours de droit
public dirigé contre l'ordonnance du 11 avril 1997. Invoquant notamment
l'article 5 de la Convention, il allégua qu'il n'existait pas de charges
suffisantes justifiant sa détention provisoire et sollicita sa mise en
liberté immédiate.

Par un arrêt du 17 juin 1997, le Tribunal fédéral rejeta le recours
du requérant au motif que la chambre d'accusation « pouvait sans autre
retenir, au stade actuel de la procédure, l'existence d'indices sérieux
de participation du (requérant) à une organisation criminelle ».

Le requérant fut maintenu en détention provisoire durant toute la phase
de l'instruction, la chambre d'accusation ayant systématiquement prolongé
cette détention jusqu'au 11 décembre 1998.

Par un jugement du 11 décembre 1998, la cour correctionnelle de Genève
reconnut le requérant coupable d'une infraction à la Loi fédérale sur
l'acquisition d'immeubles par des personnes à l'étranger, et l'acquitta
des autres chefs d'accusation. Le requérant fut mis au bénéfice de l'erreur
de droit et exempté de toute peine.

Le 12 décembre 1998, le requérant fut expulsé du territoire suisse.

Le 2 décembre 1999, le requérant adressa à la chambre pénale de la cour
d'appel de Genève une « requête en indemnisation pour détention injustifiée
» fondée sur les articles 379
SR 312.0 Code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (Code de procédure pénale, CPP) - Code de procédure pénale
CPP Art. 379 Dispositions applicables - Sauf disposition spéciale, les dispositions générales du présent code s'appliquent par analogie à la procédure de recours.
et suivants du Code de procédure pénale du
canton de Genève (CPP). Il conclut à l'octroi d'une indemnité de 800 000
francs suisses (CHF) avec intérêts à compter du 12 décembre 1998, pour
son maintien en détention provisoire durant près de 26 mois.

Le 24 juillet 2000, la chambre pénale de la cour d'appel de Genève déclara
la requête recevable et condamna l'État de Genève à verser au requérant
800 000 CHF à titre de réparation en application de l'article 379
SR 312.0 Code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (Code de procédure pénale, CPP) - Code de procédure pénale
CPP Art. 379 Dispositions applicables - Sauf disposition spéciale, les dispositions générales du présent code s'appliquent par analogie à la procédure de recours.
CPP,
ainsi que 10 000 CHF à titre de dépens. Elle admit que le dommage subi
par le requérant se composait des postes suivants : détention provisoire

durant 625 jours (62 500 CHF), frais d'avocats (près de 580 000 CHF) et
abandon de créance dans la faillite d'une société. Concernant la détention
provisoire, elle déduisit de la durée totale de celle-ci, en l'occurrence
786 jours, une période de 161 jours correspondant à une procédure ouverte
suite à la découverte de courriers entrant et sortant subrepticement de
la prison pour le compte du requérant ; à cet égard, elle souligna que ce
dernier avait pleine connaissance du caractère illégal de ces manoeuvres
et devait en conséquence être tenu responsable de ladite procédure qui
avait retardé l'issue de l'instruction de 5 mois et 10 jours.

B. Le droit interne pertinent

Les dispositions pertinentes du Code de procédure pénale du canton de
Genève sont rédigées comme suit :

Article 379

« 1. Une indemnité peut être attribuée, sur demande, pour préjudice
résultant de la détention ou d'autres actes de l'instruction, à l'accusé
qui a bénéficié d'un non-lieu ou d'un acquittement dans la procédure de
jugement ou après révision.

2. Le juge détermine l'indemnité dont le montant ne peut pas dépasser 10
000 F. Si des circonstances particulières l'exigent, notamment en raison
d'une détention prolongée, d'une instruction compliquée ou de l'ampleur
des débats, l'autorité de jugement peut - dans les cas de détention -
allouer à titre exceptionnel une indemnité supplémentaire. Le juge peut
décider d'un autre mode de réparation du préjudice subi ou de tout autre
appui nécessaire au requérant. (...)

5. L'indemnité peut être refusée ou réduite si la conduite répréhensible
de l'accusé a provoqué ou entravé les opérations de l'instruction. (...) »

GRIEFS

Invoquant l'article 5 de la Convention, le requérant se plaint de ce que
son « droit à la liberté » a été méconnu. A cet égard, il allègue que le
Tribunal fédéral, le 3 avril 1997, après avoir annulé l'ordonnance de la
chambre d'accusation du 24 janvier 1997, aurait dû ordonner sa libération
car la détention provisoire ne reposait plus sur aucun titre valable.

EN DROIT

Le requérant se plaint de ce que sa détention provisoire, suite à l'arrêt
du Tribunal fédéral du 3 avril 1997 ayant annulé l'ordonnance rendue par
la chambre d'accusation le 24 janvier 1997 sans toutefois prononcer sa
mise en liberté provisoire, était irrégulière. Il invoque l'article 5 de
la Convention, qui dispose en ses passages pertinents :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être
privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
(...)

c) s'il a été arrêté et détenu en vue d'être conduit devant l'autorité
judiciaire compétente, lorsqu'il y a des raisons plausibles de soupçonner
qu'il a commis une infraction ou qu'il y a des motifs raisonnables de
croire à la nécessité de l'empêcher de commettre une infraction ou de
s'enfuir après l'accomplissement de celle-ci ; (...)

4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a
le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à
bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la
détention est illégale. (...) »

Le gouvernement suisse est d'avis que le requérant ne peut plus prétendre à
la qualité de victime au sens de l'article 34 de la Convention. En effet, par
un jugement rendu le 24 juillet 2000, aujourd'hui définitif et exécutoire,
la chambre pénale de la cour d'appel de Genève a condamné l'État de Genève à
payer au requérant une indemnité de 800 000 CHF à titre de réparation pour
détention injustifiée. Or, cette somme couvre la période pendant laquelle
le requérant prétend avoir été détenu de manière illégale et correspond au
montant qu'il avait réclamé à ce titre. Le Gouvernement soutient aussi que
la requête est irrecevable, aux motifs que les voies de recours internes
n'ont pas été épuisées et que les griefs sont manifestement mal fondés.

Le requérant conteste ces thèses. En particulier, il affirme qu'il peut
prétendre à la qualité de victime au sens de l'article 34 de la Convention.
Son préjudice, en effet, ne résultait pas seulement de ce que, reconnu
innocent et acquitté, il avait subi une longue détention provisoire mais
encore de ce que celle-ci s'avéra inopérante et, de surcroît, irrégulière.

La Cour rappelle qu'aux termes de l'article 34 de la Convention, elle «
peut être saisie d'une requête par toute personne physique (...) qui se
prétend victime d'une violation par l'une des Hautes Parties contractantes
des droits reconnus dans la Convention ou ses protocoles. » La question
de la qualité de victime est étroitement liée à l'exigence de l'épuisement
des voies de recours internes de l'article 35 § 1 de la Convention, dont la
ratio legis consiste en ce que les justiciables doivent accorder aux États
prétendument en faute la faculté de remédier aux violations alléguées, en
utilisant à cette fin les ressources judiciaires offertes par la législation
nationale, pourvu que celles-ci se révèlent efficaces et suffisantes. La
responsabilité première de la mise en oeuvre et de la sanction des droits
et libertés garantis par la Convention et ses protocoles incombe en effet
aux autorités nationales et le mécanisme de plainte devant la Cour ne revêt
qu'un caractère subsidiaire. Ainsi, un requérant ne peut plus prétendre
à la qualité de « victime », au sens de l'article 34 de la Convention, si
les violations qu'il allègue devant la Cour ont été reconnues, explicitement
ou en substance, puis réparées par les autorités internes (voir, notamment,
les arrêts Eckle c. Allemagne du 15 juillet 1982, série A n° 51, p. 30, § 66,
Amuur c. France du 25 juin 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-III,
p. 846, § 36, et Dalban c. Roumanie [GC], n° 28114/95, § 44, CEDH 1999-VI).

En particulier, la Cour estime que la possibilité pour un prévenu se
plaignant d'avoir été détenu provisoirement à tort de se voir octroyer une
indemnité raisonnable à ce titre constitue en principe un remède suffisant
et adéquat pour redresser les violations alléguées.

En l'espèce, la Cour observe qu'aux termes de l'article 379 du Code
de procédure pénale du canton de Genève, un accusé acquitté peut être
indemnisé « pour préjudice résultant de la détention ». Elle constate
que le requérant fit usage de cette possibilité et obtint gain de cause,
l'indemnisation allouée correspondant intégralement à celle qu'il avait
demandée. En effet, en décembre 1999, le requérant adressa à la chambre
pénale de la cour d'appel de Genève une « requête en indemnisation pour
détention injustifiée » durant près de 26 mois, fondée sur les articles
379
SR 312.0 Code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (Code de procédure pénale, CPP) - Code de procédure pénale
CPP Art. 379 Dispositions applicables - Sauf disposition spéciale, les dispositions générales du présent code s'appliquent par analogie à la procédure de recours.
et suivants CPP, dans laquelle il conclut à l'octroi d'un montant
global de 800 000 CHF, et, par un jugement rendu le 24 juillet 2000, cette
juridiction condamna l'État de Genève à lui verser 800 000 CHF à titre de
réparation en application de l'article 379
SR 312.0 Code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (Code de procédure pénale, CPP) - Code de procédure pénale
CPP Art. 379 Dispositions applicables - Sauf disposition spéciale, les dispositions générales du présent code s'appliquent par analogie à la procédure de recours.
CPP. Certes, la chambre pénale
de la cour d'appel de Genève retrancha de la durée totale de la détention
provisoire une période de 161 jours pour laquelle aucun dédommagement ne
fut alloué au requérant. La Cour relève toutefois que cette déduction fut
motivée par le comportement fautif du requérant.

La Cour estime que l'indemnisation versée constitue une réparation suffisante
qui se rattache en substance aux griefs que le requérant fait valoir à
présent et peut raisonnablement être considérée comme ayant effacé les
conséquences desdits griefs.

Dans ces circonstances, la Cour conclut que le requérant ne peut plus se
prétendre « victime », au sens de l'article 34, d'une violation de la
Convention. Il s'ensuit que la requête est manifestement mal fondée et
doit être rejetée en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,

Déclare le restant des requêtes irrecevable.

S. DolléJ.-P. Costa GreffièrePrésident
Information de décision   •   DEFRITEN
Document : 38014/97
Date : 11 décembre 2001
Publié : 11 décembre 2001
Source : Arrêts CourEDH (Suisse)
Statut : 38014/97
Domaine : (Art. 34) Requêtes individuelles (Art. 34) Victime
Objet : MICHAILOV contre la SUISSE


Répertoire des lois
CPP: 379
SR 312.0 Code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (Code de procédure pénale, CPP) - Code de procédure pénale
CPP Art. 379 Dispositions applicables - Sauf disposition spéciale, les dispositions générales du présent code s'appliquent par analogie à la procédure de recours.
Répertoire de mots-clés
Trié par fréquence ou alphabet
détention provisoire • chambre d'accusation • tribunal fédéral • vue • acquittement • mois • organisation criminelle • détention injustifiée • procédure pénale • droit à la liberté • recours de droit public • cour européenne des droits de l'homme • blanchiment d'argent • indemnité • calcul • décision • mise en liberté provisoire • personne privée • autorité judiciaire • titre
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